PARIS SOUS LES BOMBES

Home

Les trains
Streets
Chromes
Insolite
Camions
Old school
Tags
Vos avis sur tout et rien
Dictionnaire
Livres, films, journeaux
interviews et infos writers
crews parisiens et membres
Me contacter
les liens
Guest book
Forum
jon one

Voila une interview de jon one un des pionniers du graff parisien...

Quest-ce qui ta marqué quand tu es arrivé en 87 concernant lattitude Hip Hop en France ? Est-ce que cétait une reproduction de ce qui se passait aux Etats-Unis ou est-ce quil y a eu la véritable naissance dun mouvement indépendant, notamment au niveau de la scène graffiti ?

Jétais à New York quand le Hip Hop est né et jai eu la chance dobserver son évolution depuis son plus jeune âge jusquà aujourdhui. Quand je suis arrivé à Paris , il y avait des gens qui portaient des « name plates », des « fat laces » ou des « kangols » et je trouvais çà marrant. Je voyais un peu ça comme une interprétation de ce qui était né aux Etats-Unis mais aussi comme une autre approche du Hip Hop qui se définissait à la fois comme originale mais aussi innovatrice . A cette époque en France, la seule composante du Hip Hop qui me semblait la plus développée, cétait le graffiti. Le rap existait aussi mais il n'était pas vraiment aussi mature que le graffiti. Et, je pense que le Hip Hop en France a su progresser parce que les premiers groupes français sont nés avec le graff. Le graff a permis, à quelque part, de cerner un certain état desprit . Par exemple, les 93NTM se sont fait connaître parce quils massacraient la ligne 13. De même pour ASSASSIN, cétait SQUAT : cétait un graffeur. Pour moi, cétait ça le Hip Hop français.
Aujourdhui , quand je vois tout ce quil existe maintenant et tout ce qui se fait, je trouve que cest devenu un peu le bordel, comme il y a aussi dailleurs aux Etats-Unis.


Et, est-ce que les graffs français étaient une pale copie des graffs américains ?

Non, à part pour certains groupes qui essayaient de refaire les mêmes lettrages et de recréer lesprit américain, il y avait dautres personnes qui tentaient de développer un style vraiment personnel.


Comme ASH2, les BBC, LOKISS

Oui exactement. Ce genre de personne a donné un souffle au graff français. Pour nous, aux States, où régnaient quelques maîtres, nous ne pensions pas quil existait des personnes qui peignait en dehors de notre quartier. Et, personnellement, quand jai vu en Europe quil y avait des gens qui graffaient , jai vraiment halluciné ! Je me disais : « Pourquoi font-ils çà ? » « Ils nont pas les mêmes raisons que nous de faire ça ! » .Cest dailleurs pour ça que le graff en France a réussi à créer et à développer son propre style. Aux States à lépoque, nous peignions pour lacte de révolte et par soif de sexprimer. On ne nous donnait pas la possibilité de nous exprimer, alors on le faisait sur les métros. Ici, en Europe, cétait différent, bien sûr les gens avaient aussi besoin de sidentifier mais ils donnaient une part plus importante au style.


Et cest pour ça que tes venu en France ou cest pour des raisons personnelles ?

Je suis venu parce que BANDO ma invité. Jai bien aimé ce qui se passait ici alors je suis resté !

Aujourdhui, quest-ce que tu penses du développement du Hip Hop en France ?

En France, il y a beaucoup de petits clans. Moi, je suis un individualiste du fait de mon travail sur toile et je névolue pas en tant que « joueur dans une équipe », même si jappartiens aux 156.

Justement peux-tu faire une parenthèse et nous parler des 156 ?

En fait, 156 représente un état desprit, ce nest pas un clan. Chaque membre des 156 a son individualité, sa propre personnalité, que ce soit CREEZ, PSY, OCLOCK chacun apporte sa force. Ils nont pas besoin dêtre 156 pour exister. Ils ont chacun une énergie intrinsèque par rapport au travail quils fournissent et ils représentent cet état desprit 156.

Et pour revenir à ta question, le problème avec les différents clans en France est quils ne sont pas unis comme ils devraient lêtre. Jassimile çà à de la politique : il y a pleins de partis de différents horizons et pour prendre une décision dintérêt général ils prennent des mois. Cest pareil pour le Hip Hop , il y a tellement dhistoires que tu n as même pas envie de sortir et tu préfères rester chez toi à faire ton truc. La vie est trop courte pour ces conneries là. Cest dommage parce quen Europe, la France est beaucoup respectée .Il y a pleins de gens créatifs et beaucoup de choses qui sy passent. Beaucoup de personnes ici ont un héritage culturel artistique et aiment lart sous toutes ses formes. Dans les années 50, ils y avaient plein de musiciens de jazz qui nétaient pas apprécié dans leur propre pays. Ils sont venus ici et on fait un carton.
Par contre, en ce qui concerne les organisations , la France reste un peu méfiante. Sauf si certains événements peuvent apporter de largent, les gens ici ont peur daller plus loin Alors quen Allemagne par exemple, il y a plein de festivals , dexpositions. Ici, ça ne se passe pas comme ça , il y a plein de petites magouilles et cest dommage.
Mais en comparaison avec le monde entier, la France est reconnue comme un bon pays de graffeur. Après pour le rap , je ne sais pas, mais pour le graph : much respect !


Et que penses-tu de la place de la scène graffiti en général ?

En Europe ou même dans le monde, il y a quand même majoritairement une grande différence en ce qui concerne les niveaux artistiques. Quand je suis arrivé à Paris, la scène française était considérée comme la meilleure de toute lEurope. Cétait une véritable référence pour tous ses voisins que ce soit lAllemagne, la Suède, lAngleterre Les Hollandais se défendaient aussi mais je pense que cétait la France qui avait la première place. Il y avait BANDO, LOKISS, les BBC, MODE 2 mais aussi un véritable état desprit qui accompagnait ces artistes. Les gens se réunissaient à Stalingrad qui était le terrain de référence à lépoque pour toute lEurope. Ils en parlent même dans Spray Can Art !
Après, dans les années 90, les peintres européens ont commencé à développer leur style mais sur une échelle différente. Par exemple, LOOMIT nallait pas seulement peindre aux Etats Unis juste pour dire quil lavait fait , il sest carrément incrusté dans la scène américaine. Il vivait chez SEEN avec DARCO. Ils ont effectué un véritable échange avec les américains , ils se sont fait plus quaccepter et une véritable collaboration entre européens et américains est née.
Aujourdhui, quand tu observes la scène graffiti dans le monde, tu vois quelle est partout : en Pologne partout.Elle est dautant plus omniprésente que les médias lont largement développée que ce soit par les magasines ou Internet . Après tu peux te faire remarquer par loriginalité que tu proposes. Certains sprayists comme les allemands sont des véritables machines et organisent des murals qui font des longueurs incroyables de Porte de Bagnolet à Porte des Lilas...des kilomètres de murs ! Mais en ce qui concerne Paris, les peintres sont restés plus dans une optique artistique. A part certains crews qui font faire des grands murs, les gens cultivent plutôt un esprit et une individualité beaucoup moins productif. Quand tu prends lexemple de SPACE INVADER , ZEUS ou ANDRE qui étaient des taggers avant , tu vois quils ont voulu en faisant des logos, séchapper de la logique du tag qui est présent à chaque coin de rue de la capitale et sous maintes formes. Il y a tellement une accumulation du tag que pour se faire connaître, ils ont décidé de sy prendre autrement. En plus, il offre une autre émotion et une autre vision quun simple tag. Tu peux prendre aussi lexemple original de MOZE qui a dépensé une énergie colossale pour peindre tous ces camions. La France reste un des seuls pays en Europe où il y a autant de camions peints. Essaies daller voir un allemand pour lui demander de peindre son camionil va te casser la gueule ! Mais je ne renie pas le tag pour autant, ni les cartonneurs qui arrivent à se faire connaître en déchirant tout Paris, comme par exemple OCLOCK qui doit être le meilleur taggueur pour moi en ce moment !
En fait, je pense que la France reste avant-gardiste et ça, cest essentiel !

Parlons un peu de tes peintures. En ce qui concerne les techniques que tu utilises, comment sest passée cette évolution de la bombe vers lacrylique ?

Même si jutilise un pinceau , jexprimerai toujours lesprit de la rue. La bombe nest pas un outil essentiel pour sexprimer. Que jutilise de lacrylique, de lhuile ou de la bombe pour peindre , ce sera toujours le même esprit de la rue que je chercherais à exprimer. En général, jutilise plein de choses pour mexprimer et je ne me restreins pas seulement à la bombe ou aux médiums.


Tu nas jamais pensé passer de la 2eme dimension à la troisième ?

Je rêve de faire de la sculpture, mais en ce moment je nai pas les moyens matériels de réaliser un tel travail et en plus je ne sais pas si je serais doué pour le faire Je crois que je suis un peintre qui aime la toile avant toute autre chose. Dans lHistoire, beaucoup de gens se sont spécialisés uniquement dans la sculpture, que ce soit Brancusi, Rodin ,Giacometti mais moi, je voudrais plutôt être reconnu comme quelquun qui fait avant tout de la peinture et cest cette trace que je voudrais laisser de mon passage .


Comment procèdes-tu pour faire une toile ?

En fait, ça dépend .Il y a des périodes où cest létat desprit qui me pousse à faire une toile, et dautre fois où jarrive devant une toile sans trop savoir ce que je vais faire, mais cest normal car mes idées ou mes images sont des pensées abstraites et quand je les visualise cest souvent flou.Ca prend souvent beaucoup de temps à donner un sens aux images que je vois et pas seulement au niveau recherche et explication mais aussi au niveau émotionnel. Ce nest pas par un simple travail dobservation que je trouve une solution à mes toiles. Jessaie de faire passer des émotions pour donner aux gens du plaisir à regarder mes toiles et cest quelquefois un processus assez long et qui peut prendre 2 ou 3 mois avant que je trouve une alternative : un soir je rentre chez moi et puis bang ! Je trouve la solution !

Il est arrivé aussi quelquefois que par coups de rage qui me pousse à faire çà, je fasse des toiles dun seul trait. Mais en général, lévolution de mes toiles se fait comme celle dun journal : cest tous les jours. Et il en est la conséquence que mes toiles soient riches car cest beaucoup dinformations. Cest comme cette toile qui est là : je lai commencée et travaillée à New York dans un certain contexte. Ici, cétait notamment avec des amis qui fument des pétards tout le temps et qui sont un peu des racailles dans le mouvement DownTown New York Aujourdhui, cette toile se trouve là chez moi à Paris : il y a un décalage et les émotions ne sont plus les mêmes.

Aujourdhui, je sais davance quelles couleurs je vais utiliser. Jessaie de mettre des formes plus poétiques et des couleurs plus plates alors quavant je mélangeais et je faisais des couleurs un peu violentes, dures à regarder. Je travaillais plus le détail.

Est-ce que ton travail sur toile rejoint un peu celui de ton flop qui a inondé Paris ces derniers mois ?

Non, le flop est un travail différent. Je le fais avant tout pour moi. Je fais ça partout parce que jai envie de voir mes flops partout dans mon parcours. Cest toujours dans mon parcours. Je vais çà pour mamuser. Bien sûr, ça me fait de la publicité mais les gens qui voient mes flops et ceux qui achètent mes peintures appartiennent à des sphères différentes.
Mais je fais aussi mon flop pour me détendre, pour me retrouver et pour me permettre de retourner à la source. Cest essentiel pour garder les pieds sur terre et pour savoir doù je viens et pour éviter davoir un jour la grosse tête et me sentir supérieur. Il faut que mon travail reste sain. En plus, jaime bien garder ce contact avec la rue et encore traîner de temps en temps avec des tueurs de la rue. Cest pour moi la récompense à 37 ans dêtre libre et de ne pas être comme les autres personnes de mon âge qui suivent le train-train de la vie quotidienne.


Est-ce quil tarrive davoir des moments de non-créativité ?

Non, jessaie que non.


Jamais ? Toujours créatif ?

Oui je suis une machine ! John Coltrane - après avoir fait des concerts - sentraînait 3 ou 4 heures en plus. Pourquoi ? Parce quil avait ce besoin ! Il ne faisait pas de la musique de 10 à 11 h et aller après aux dîners mondains. Coltrane continuait de jouer parce que cétait une espèce dénergie qui se dégageait de lui et il en avait besoin. Moi, en création, ma récompense nest pas forcément largent. Jai besoin de créer et dêtre actif sinon je me sens mal. Si tu mets sur un coté dune table, plein dargent en me disant que je ne peux pas peindre, et de lautre côté rien, en me disant que je peux peindre, je choisis ce dernier coté. Je prends la possibilité de peindre parce que cest ma récompense pour kiffer et pour exister.


Et est-ce que tu penses que tu arrives au fur et à mesure à te frayer un chemin dans le monde de lart ?

Non, je nen sais rien. Mais de la façon dont jai été entraîné dans ce métier ou dans cette profession, les gens mont dit de toujours peindre même si tu as plein dargent. Il faut toujours peindre toujours avancer avec ton travail. Et, jespère ainsi que je pourrais marquer mon temps avec ma peinture. Je crois que ce serait la plus grande récompense que je pourrais avoir.
En tout cas, je voudrais que le monde de lart considère mon travail, certes, comme le travail émanant dun esprit de rue, mais aussi comme le travail de JONONE et la dimension que jai apportée. Je ne veux pas être étiqueté comme juste graffeur ou comme « la tête darabe » ou « lespagnol qui fait de la peinture » comme les gens ont parfois l'habitude de dire. Non ! Je veux quon me considère à part entière comme JONONE qui fait son travail de peintre abstrait. Je veux que mes toiles soient un jour dans des musées et quelles fassent les enchères ! Et, dans un sens, je crois que je porte avec moi le poids de tous les autres amis qui ny sont pas arrivés.


Est-ce que tu pourrais nous parler de tes influences musicales?

Jécoute de la musique brésilienne, africaine, et pas seulement du rap. Jessaie dêtre ouvert. Jaime les choses pures et pas exploitées, quand elles vivent avec leur propre énergie.
La musique cest aussi le rythme et jaime bien avoir des images de breakeurs comme celle de DOZE, KEN SWIFT ou WIGGLES dans la tête : ce sont des images pures qui vivent avec leur propre énergie et sont une véritable source dinspiration.


Est-ce que ça interagit avec ce que tu peins ?

Oui quelquefois ça peut influencer. Ca dépend du type de musique.
Mais, je crois que la peinture, la musique ou la danse sont différents courants artistiques et il faut les appréhender différemment. Ce nest pas les mêmes sentiments. Un musicien a sa propre façon de sexprimer, cest un artiste qui a sa propre vision de la vie et lui donne une dimension sonore. Le peintre lui sexprime à travers une manière visuelle. Pour le musicien, tu traites les sons linéairement alors que pour le peintre tu nas pas le même type dinformation et la même façon dappréhender un tableau. Il faut avoir une démarche pour savoir ce que lartiste a envie de donner. Quand tu regardes le travail dartistes comme OCLOCK ou ANDRE qui décorent les murs de Paris et qui font des tags, les gens normaux vont dire «Ce sont des vandales ! Cest nimporte quoi et il faut quil paie des amendes ! » Il y a une incompréhension totale. Ces personnes donnent une énergie nouvelle à la ville. Sans eux, la ville deviendrait morte.


Et, quen est-il de tes inspirations visuelles ? Est-ce qu'il existe certains peintres dont les oeuvres déteignent sur ton travail ?

Il y a toute cette vague de gens de la vieille école qui m'a poussée à devenir ce que je suis maintenant et qui mont ouvert la porte pour venir ici comme LEE, AONE Mais il y a tellement dinfluences dans mon travail que je ne me cantonne pas seulement sur eux. Il y a aussi KANDISKY, POLLOCK, SCHNABEL, DE KOONING, RAUSHENBERGje mintéresse beaucoup à ce quils font. Même dans la photographie, jessaie davoir mes propres goûts. Je suis fier de ça.


Et aujourdhui, comment te définis-tu ?

Jai été éduqué artistiquement par des gens qui apprécient le graff mais surtout la peinture en général. Petit, jétais une racaille, mais jai un ami, amateur dart, qui ma ouvert la porte de chez lui. Il avait des tableaux de maître et il ma appris à avoir les yeux et lénergie pour apprécier lart sous toutes ses formes, que ce soit la petite sculpture africaine ou nimporte quel tableau de grand maître. Il ma appris le rôle de lart dans notre vie et à quel point celui-ci est important. Bien sûr, il y a tous ces systèmes sociaux de la vie de tous les jours : ouvriers, industrielsMais il y a aussi lart et le rôle de lartiste par rapport à la société. Dieu était un artiste : il a crée lUnivers ! De manière générale, si tu regardes lart africain, il ny a pas ce côté occidental qui tend à mettre une côte ou un prix, lart africain reste un art pur. Dans lart africain ancien, on associait lart pictural à la musique, ça te permettait daller vers Dieu. Moi, je suis plus attiré par cette espèce dart que par lautre. Je men fous si tu es dans cette galerie là ou ailleurs. Ca ne te fera pas de ton travail quelque chose de plus brillant pour lArt. Je préfère lartiste en lui-même et ce quil a envie dexprimer. Jai toujours une influence sur la rue avec des gens comme MOZE, FAFI, PSYCHOSE ou OS GEMEOS qui font de grandes choses.


En ce qui concerne tes projets personnels ?

Pour linstant, javance mes toiles. Jessaie den faire plus. Je fais un T-shirt à droite à gauche mais je nai pas envie daller plus loin. Ce nest pas mon but. Je ne dis pas que ce nest pas bien, mais ça ne mintéresse pas.


Une expo bientôt ?

Oui bientôt mais chut . !

Entretien réalisé par Alex(90 bpm)