L'idée de flasher les ombres de la nuit, ça t'est venu comment ?
ZEVS : J'aime Paris la nuit. Je tourne "by night" depuis plus de dix ans, en roller, Noctambus (bus de nuit), taxi... et aujourd'hui en scooter ! C'est de cet amour pour Paris qu'est née ma volonté d'aller dans le sens de la ville, c'est-à-dire mettre en valeur à la fois ses richesses (les monuments) et son mobilier urbain, qui est complètement ignoré des passants. Avec mes ombres, ils se mettent de nouveau à regarder.
Quelle a été ta première "ombre nocturne" ?
J'ai commencé par vouloir faire l'ombre de mon scooter, pour marquer mon territoire, dans les endroits que je fréquentais le plus. Comme ça, partout où j'allais, on savait que c'était ma place...
Techniquement, c'est difficile tes ombres ?
Sincèrement, non. J'ai commencé par de petites choses statiques, genres feux rouges, lampadaires, poubelles... Je prennais des tracés au préalable et je peignais ensuite. Mais l'artistique de mon travail n'est pas lié à la difficulté technique, plutôt à ma volonté de laisser au jour une trace de mes nuits !
Justement pour que ces "traces" demeurent, quelle peinture utilises-tu ?
Mon matos, c'est celui de la maréchaussée. C'est mon fournisseur officiel !
Et où te le procures-tu, sans indiscretion ?
Tu sais, en traînant un peu dans Paris la nuit, on fait des rencontres... Au début, quand je sortais du côté de Place Clichy, je me suis branché avec des mecs de la voirie qui, contre un billet, me filaient un ou deux pots. Après, quand ma consommation a augmenté, je suis allé directement à l'entrepot prendre des pots de 5 litres !
Quelle est la particularité de cette peinture ?
Elle est indélibile ! C'est d'ailleurs ce qui me permet de finaliser mon travail, c'est-à-dire de lutter contre l'éphémère. Bon, à la longue ça s'efface, mais ça tient quand même un certain temps !
Quelle est ton ombre préférée ?
C'est très dur à dire. Celle qui m'a demandé le plus de travail, c'est celle du Pont du Carrousel, à Paris, qui relie la Pyramide du Louvre à Saint-Germain-des-Prés. Ce pont, il a une statue à chaque bout. Il a donc fallu que je fasse des repérages pendant des nuits pour pouvoir ensuite peindre d'un seul coup. C'était un tel boulot que j'ai dû le faire de jour. C'est d'ailleurs la seule "ombre nocturne" que j'ai faite de jour !
Tu l'as réalisée sous le nez des flics ?
Oui, parce que mes "potes" de la voirie m'ont aussi fourni tout le matos, genre "Attention chantier" avec banderoles et salopette verte en prime ! Quand les flics passaient, ils se fiaient à l'écriteau "Voirie de Paris" et ils ne se posaient pas de questions ! Personne n'est venu me demander ce que je fabriquais...
Tu en as fait d'autres qui, techniquement, se sont avérées compliquées ?
Oui, celle de la statue de César, place de la Croix-Rouge, dans le 6e arrondissement de Paris. Une "ombre nocturne" étant plus grande que son original, et cette sculpture de César étant déjà grande, automatiquement, mon ombre s'étendait démesurément et mordait sur le carrefour. Pour finir mon travail et laisser la peinture sécher, j'ai dû arrêter la circulation !
Tu opères depuis toujours avec un bas sur la tête. Par modestie, par crainte, ou parce que tu assimiles tes actions à du terrorisme ?
Parce que cela fait partie de moi, tout simplement. Ce bas, une fois que je le revêts, je me sens différent, je quitte mon identité légale pour entrer dans l'antre de Zeus ! (Rires.)
Ton rêve de flasheur d'ombres, c'est quoi ?
Flasher la Tour Eiffel.
Quelles sont les réactions de ceux qui te surprennent en flagrant délit de peinture ?
Ces flags, c'est certainement ce qui rend mon expérience supermotivante. Je fais des rencontres incroyables ! Il y a ceux qui s'en tapent, ceux qui s'arrêtent et observent, ceux qui cherchent à comprendre sans rien dire, ceux qui me posent des questions... Et puis il y a aussi les rencontres paranormales.
Pardon ?
"Paranormales", dans le sens "pas ordinaires". Comme ce gars qui m'observait de sa cuisine à 3h du matin et qui est descendu avec un café chaud et m'a offert un bouquin de photographies. Ou cette vieille dame qui est venue me féliciter à 6h du matin, à l'heure de la promenade de son chien, parce que je venais de flasher l'ombre d'une statue qui avait été réalisée par un de ses ancêtres. Ce sont des instants magiques que seule la nuit est capable de t'offrir !
Et des rencontres "magiques" avec les "képis", ça ne t'est jamais arrivé ?
Si, très souvent, surtout à une époque où je tournais pas mal dans le quartier du Marais, au centre de Paris, qui est très fliqué. Eux, c'est simple, ils ne comprennent pas. Leur préoccupation est uniquement de savoir si ça s'en va ! Les plus naïfs, je leur dit que oui et ils me demandent de filer ; les autres, ils m'embarquent au poste pour la nuit !
Pour quel motif ?
Je ne sais pas trop, plus pour marquer le coup ! Légalement, on ne peut rien me reprocher, je ne dégrade ni le mobilier urbain, ni les sculptures que je flashe ! Je ne fais que prolonger ce qui existe déjà. J'ai donc droit à ma nuit au poste et le lendemain ils me relachent...
Le multirécidivisme et le risque qui va avec, tu y penses quand même ?
Oui, mais j'aime la peinture sous adrénaline !
La Mairie de Paris ne semble pas tellement vous apprécier, vous, les artistes de rue...
Je pense surtout que les services de la mairie, comme ceux du ministère de la Culture, sont véxés parce qu'ils ne sont pas à l'origine de ces manifestations et et qu'ils ne maîtrisent rien. Alors plutôt que de nous laisser nous exprimer, ils nous répriment. Mais ils savent très bien que nous existons, et je dirais même qu'ils nous "traquent" et passent derrière nous pour détruire nos créations.
Eh, tu ne joues pas un peu les paranos, là ?
Moi, parano ? Attends, prends le Pont du Carrousel, qui reste à ce jour une de mes plus belles réalisations : la presse et la télé ont parlé de moi et ont montré le pont. Eh bien trois jours après, l'éclairage du pont, qui était le même depuis cinq ans, a été subitement modifié, saccageant mon "flash". Maintenant, il ne ressemble plus à rien ! Et tu crois que c'est le fait du hasard ? Mais je vais recommencer. Prépares-toi, Tibéri...